Kisangani, RDC – La viande des animaux qui habitent le paysage de la Réserve de biosphère de Yangambi joue un rôle crucial dans l’alimentation des communautés riveraines de la zone, située au nord de la République démocratique du Congo (RDC). La viande d’animaux sauvages, tels que les petits singes, le céphalophe rouge, le céphalophe bleu, le rat géant et les potamochères, est la source de protéines la plus importante pour les habitants de la région. Malheureusement, les niveaux actuels de chasse ne sont pas durables, comme l’attestent les chasseurs qui observent la disparition locale de certaines espèces comme l’éléphant et l’okapi, ainsi que la diminution des populations de mammifères, en particulier des petits singes et des ongulés.
Pour cette raison, le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR) a mené dans le cadre du projet FORETS (Formation, Recherche, Environnement dans la Tshopo), financé par l’Union européenne, une étude de base pour mieux comprendre comment contribuer à la conservation faunique de la biodiversité de la réserve, sans priver les communautés locales d’une source importante d’aliments nutritifs.
L’étude avait comme objectif d’identifier le fonctionnement de la filière viande de brousse, de comprendre son importance économique, sociale et nutritionnelle pour les communautés, et de formuler des recommandations concrètes pour l’amélioration de la durabilité de la filière et des conditions de vie des populations.
Les chercheurs du CIFOR ont montré que l’activité de chasse de gibier pour l’approvisionnement des quartiers de Yangambi s’effectue principalement au nord de la réserve, sur les rives de l’Aruwimi. Pour certains chasseurs, la vente de gibier est vue comme leur activité économique principale car elle génère des revenus rapides, avec un faible investissement matériel. Pour les agriculteurs, la chasse rempli des fonctions de protection des cultures et de complément de revenus pour la subsistance de la famille. La filière génère des revenus complémentaires pour de nombreux acteurs : transporteurs, remiseurs, vendeuses sur les marchés.
En analysant la demande urbaine de viande de brousse de la ville de Yangambi, l’étude a aussi révélé qu’un tiers des ménages mangent de la viande de brousse plus d’une fois par semaine, ce qui en fait la principale source de protéines animales pour les populations. « Il n’existe pas d’alternative d’origine domestique, à part quelques poulets, cochons et canards », explique Hulda Hatakiwe, chercheuse au CIFOR qui travaille à Yangambi. « Les produits animaux d’origine domestique sont quasi inexistants partout à cause des épidémies et du manque de technicité ne permettant pas d’atteindre des niveaux de production suffisants », ajoute-t-elle.
« La croissance démographique dans la ville de Yangambi, le nombre très limité d’opportunités d’emploi, l’isolement en termes de facilité d’échange et de transport qui limitent l’entreprenariat, sont autant de facteurs qui entraînent une dépendance accrue envers les produits de la forêt » explique Nathalie van Vliet, experte en viande de brousse et l’autrice principale de l’étude. « Progressivement, une plus grosse partie du gibier est destinée à la vente en ville, et la pression sur la réserve et ses alentours ne cesse d’augmenter ».
Les extinctions locales et les déclins marqués d’espèces de mammifères dans ce paysage sont soit la conséquence directe du conflit, soit le résultat d’effets en cascade qui ont leur origine dans les rébellions entre 1996 et 2002 : dégradation du réseau routier, fermeture des usines, diminution des emplois publics, augmentation du nombre de chasseurs, avènement des outils de chasse à fabrication artisanale, et augmentation de la chasse de nuit grâce aux lampes frontales. Par conséquent, le principal enjeu pour les prochaines années est de comprendre comment le processus d’épuisement de la faune peut être inversé dans un contexte de post-conflit et identifier les leviers qui peuvent inverser l’effet en cascade pour permettre le rétablissement de la faune et le maintien de la sécurité alimentaire des populations riveraines de la réserve. « Dans l’ensemble, le scénario souhaité correspond à un système alimentaire équilibré, où l’utilisation de faune serait en adéquation avec les taux de renouvellement naturel, et où les animaux domestiques contribueraient significativement à l’alimentation afin de compenser l’extraction des produits sauvages », déclare van Vliet.
Cependant, dans la pratique, l’encrage culturel des activités de chasse, la difficulté de diversifier les sources de revenus, l’isolement des villages, et le manque de capacités techniques, rendent ce scenario très difficile. La stratégie à court terme suggérée repose sur un système alimentaire qui garantisse l’accès aux protéines d’origine sauvage en milieu rural et qui incrémente l’apport de protéines d’origine domestique en milieu urbain réduisant ainsi la demande urbaine de gibier.
À cet effet, les chercheurs recommandent les trois actions suivantes : Premièrement, faciliter la création de micro-entreprises locales et d’entreprises privées génératrices de revenus, notamment dans le cadre de l’élevage d’animaux d’origine domestique. Deuxièmement, établir des règles locales de gestion durable pour minimiser l’impact sur la réserve. Enfin, améliorer les pratiques de fumage pour réduire les pertes et optimiser l’utilisation de la viande.
« Une stratégie entièrement basée sur l’arrêt complet de la vente de gibier n’est pas souhaitable, alors que la viande de brousse joue un rôle si important dans l’alimentation et la génération de revenus » déclare van Vliet. « Néanmoins, nous pouvons travailler avec les communautés et nos partenaires pour créer des sources de revenus supplémentaires en milieu rural et diversifier l’accès à protéines d’origine domestique en milieu urbain afin de minimiser l’impact environnemental sur la réserve ». Ce sera donc l’approche à suivre par le projet FORETS.