La REDD+ peut-elle renforcer les capacités adaptatives des populations des zones forestières au Cameroun ?

Planter un arbre pour ses fruits, son ombrage, son bois, ses écorces… Le climat, pour moi, mes enfants et mes petits-enfants. Photo : Olliver Girard.

Planter un arbre pour ses fruits, son ombrage, son bois, ses écorces… Le climat, pour moi, mes enfants et mes petits-enfants. Photo : Olliver Girard.

Par Félicien Kengoum

Deux stratégies cristallisent l’attention dans le domaine de la lutte contre le changement climatique. D’un côté l’atténuation par la réduction de gaz à effet de serre émis dans l’atmosphère et responsable du réchauffement, et de l’autre l’adaptation, par l’ajustement des systèmes sociaux et écologiques aux impacts des changements climatiques. Dans le secteur forestier, l’atténuation est actuellement dominée par l’effort de réduction des émissions liées à la déforestation et la dégradation (REDD+), avec un ‘plus’ ajouté pour la conservation et l’accroissement du stock de carbone et gestion durable.

Au départ était la gestion durable des forêts. Elle constituait et continue d’être un objectif majeur que comme le montrent le document de politique forestière de 1993 et la loi de 1994 avec leurs décrets d’application. Un ensemble d’instruments a été constitué à l’occasion de la publication de ces documents. Ce sont notamment les affectations des forêts en domaine permanent et domaine non permanent, l’aménagement forestier, la certification, la décentralisation pour plus d’efficacité et plus d’équité dans la redistribution des opportunités et des bénéfices tirés de la forêt (fiscalité décentralisée, accès des populations à la forêt communautaire et communale), la lutte contre l’exploitation illégale des forêts, etc. Dans ce sens, l’adhésion du Cameroun aux APV, vue comme un acte politique fort, marque la détermination du gouvernement camerounais à passer à un système plus efficace de gestion de ses forêts caractérisées par un taux de déforestation croissant : de 0,6%, sur la période 1980-1995, à 0,9%, entre 1990 et 2000, puis à 1% entre 2000 et 2005. Le stock de carbone quant à lui décroit, passant de 3,29 gt en 1990 à 2,69 gt en 2010 (FAO 2011). Le taux de dégradation aurait suivi la même courbe.

Cette tendance négative s’explique en partie par l’agriculture itinérante sur brulis pratiquée par les populations locales, qui est désormais admise comme la première cause de la réduction du couvert forestier. Pourtant, les populations forestières dépendent des forêts pour leur survie au quotidien. Elles y pratiquent la quasi-totalité de leurs activités, en tirent l’essentiel de leurs ressources, notamment les produits forestiers non ligneux (PFNL), et bénéficient des services écosystémiques que leur rendent les forêts. Cette dépendance vis-à-vis de la forêt s’accentue avec les stress et chocs climatiques qui réduisent la disponibilité des ressources, obligeant les populations à solliciter la forêt un peu plus chaque jour, dans un contexte où les besoins de conservation de ces écosystèmes mobilisent l’attention de la communauté internationale et nationale.

Comme le constatent Chia et al. (2013)dans leur récent article publié par International Journal of Biodiversity and Conservation, les populations rurales des zones forestières du Cameroun font face à un ensemble de risques induits du changement du climat, qui met à mal la sécurité alimentaire et la survie des populations rurales, déjà perturbées par de nombreux autres fléaux d’origine structurelle ou politique tels que les épidémies, la mal gouvernance, la corruption ou l’extrême pauvreté. Parmi ces risques, on peut relever le changement dans le rythme et le volume des précipitations, la hausse de température, l’augmentation de la fréquence et de la violence des vents. Le dérèglement des saisons conduit à des incertitudes sur les calendriers agricoles, avec des effets directs sur le rendement agricole, la disponibilité en eau et en énergie. Les populations locales sont d’autant plus vulnérables que la plupart de leurs activités de subsistance sont très sensibles au climat. Elles se trouvent dès lors enfermées dans un cercle vicieux de la réduction du couvert forestier et du changement climatique qui les mènent inexorablement vers l’insécurité alimentaire et la pauvreté généralisée.

Aujourd’hui, en plus de la gestion durable, l’attention se focalise sur la REDD+. Se trouvant à la croisée de chemin de divers intérêts, la REDD+ autorise encore le rêve et cristallise des attentes parfois démesurées. Les différents acteurs en présence, tels que catégorisés par Somorin et ses collègues dans leur article intitulé REDD+ policy strategy in Cameroon : actors, institutions and governance, voient dans la REDD+ une nouvelle approche de sécurisation du couvert forestier, de la biodiversité, du capital ligneux et non ligneux, des réservoirs potentiels d’eau, etc. avec en prime des incitations financières, qui devraient conduire à un plus grand engagement en faveur de la gestion durable des forêts.

On observe effectivement que les sauvegardes sociales qui accompagnent la REDD+ ciblent le système humain, et sont centrées sur les problématiques des moyens d’existence, du partage des bénéfices, de la tenure et du droit d’accès, de l’équité et du renforcement des capacités. Ces sauvegardes constituent une passerelle entre le processus REDD+ et l’adaptation dans la mesure où elles sont de nature à accroître les capacités d’adaptation des populations locales face aux perturbations et aux changements climatiques. De même, les projets et initiatives REDD+ ont des capacités matérielles, techniques, financières et institutionnelles qui peuvent servir à la promotion des capacités adaptatives des communautés locales. Les activités de protection et de régénération des forêts, d’agroforesterie ou d’enrichissement des cacaoyères et des jachères en ligneux à usages multiples par les variétés semencières améliorées, la diversification culturale, les activités alternatives telles que l’apiculture, la culture des champignons sont autant d’activités qui peuvent être inscrites dans le registre de la REDD+, et qui renforcent également la résilience des populations.

Enfin, les projets et initiatives REDD+ sont supposés renforcer les capacités techniques des communautés et ouvrir la voie à un meilleur accès à l’information et une meilleure participation, qui sont gages de l’additionnalité et de la permanence du projet, tout en contribuant à renforcer les capacités adaptatives des populations. Pour y arriver, il faut associer la disponibilité de l’information à une forte volonté politique de mettre en œuvre les mesures choisies.

Au regard de ce qui précède, la question demeure de savoir si la REDD+ peut contribuer à renforcer les capacités d’adaptation des populations des zones forestières au Cameroun, aussi bien d’un point de vue éco-biologique que socio-économique. En effet, alors que l’attention des décideurs politiques reste fortement orientée vers la REDD+, la vulnérabilité des populations des zones forestières au changement climatique demeure une réalité qui fait son chemin. De toute évidence, le besoin de concilier les impératifs de développement socio-économique du pays et de lutte contre le changement climatique par la réduction des émissions passe par la réalisation de choix d’options politiques appropriées et en temps opportun. Ces choix doivent se faire en étroite relation avec la réalité de la vulnérabilité, lequel varie en fonction du contexte et de la capacité de réponse des différentes communautés concernées. En outre, ils ne peuvent être éclairés que par la disponibilité des informations nécessaires aux processus politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

Des possibilités d’arrangements institutionnels existent ou sont en cours de construction dans le cadre des différents projets de développement dans le pays. L’opportunité doit être donnée aux nombreux acteurs (étatiques et non étatiques, nationaux et internationaux, collectifs et individuels impliqués dans les processus d’atténuation et d’adaptation) de capitaliser les passerelles qui existent entre les deux processus, par une action concertée.

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